CHAPITRE XIX
Les deux hélicoptères, après avoir évolué au-dessus de l’habitation, se posèrent simultanément sur le toit terrasse. Une douzaine d’hommes porteurs de cagoules, en descendit hâtivement. Tous tenaient à la main un pistolet électrocuteur.
Celui qui les conduisait s’élança le premier vers l’étage inférieur, avec l’assurance d’un guide qui connaît bien les lieux. Son pistolet cracha plusieurs éclairs. Ceux qui le suivaient l’imitèrent, mais à aucun moment ils n’eurent l’impression de tirer sur un ennemi. Les décharges électriques s’écrasaient contre les murs.
Les armes frayaient un chemin à travers d’improbables adversaires, et la troupe atteignit un couloir, sans avoir rencontré la moindre résistance.
Des coups sourds ébranlèrent la porte.
— Traver ! Spricey ! Ouvrez-moi ! hurlait Corry à travers son scaphandre.
Dans le corridor, les hommes en cagoule continuaient à décharger leurs pistolets. Silencieux, les éclairs de mort jaillissaient et pas un pouce de terrain n’échappa à la fureur des armes électriques. Matériellement, il était impossible à un ennemi de s’infiltrer jusqu’au salon, sans risque d’être abattu immédiatement.
Fébrilement, Traver et Spricey démolissaient leur barricade. Ils avaient reconnu la voix étouffée, certes, mais bien caractéristique de Corry.
Quelques secondes plus tard, le policier faisait irruption dans la pièce. Il ôta son casque.
— Quelle épopée, mes amis ! J’ai réussi à gagner Minneapolis où je me suis fait connaître des autorités. Celles-ci ont mis à ma disposition une brigade spéciale. Ma première pensée a été, évidemment, votre libération… Mais il paraît préférable de ne pas nous attarder ici… Nous avons apporté deux scaphandres pour passer la zone dangereuse. Endossez-les.
Traver et Spricey s’habillèrent en hâte, puis, sans regret, ils quittèrent ce coquet salon qui, durant de longues heures, leur avait servi de prison.
La petite troupe déboucha sur le toit terrasse, prête à tirer sur toute chose suspecte. Mais aucun incident ne vint retarder l’embarquement du commando spécial.
— Je m’étonne, remarqua Traver en rabattant le cockpit de verre synthétique, que l’ennemi n’ait rien tenté. Pas un seul instant, il n’a manifesté sa présence. Je croyais qu’à ses yeux nous passions pour des hommes d’une certaine valeur, à cause du poste important que nous occupions aux U.S.A.
L’hélicoptère s’éleva d’un bond dans l’espace. La ferme ne fut plus qu’un point blanchâtre dans l’immense étendue verte des prairies.
Corry enleva son casque. Il put enfin allumer une cigarette. Il tendit son paquet au général.
— Si l’ennemi n’a rien tenté pour préserver ses précieux otages, c’est parce qu’il comprenait l’inutilité de ses efforts. L’arme à dématérialisation n’a aucun effet sur nos scaphandres isothermiques. En outre, notre nombre l’a sérieusement intimidé. Ce qui prouve une chose : nous avons le droit d’espérer, car nous possédons d’excellents moyens de protection. Reste à les utiliser d’une façon rationnelle et intelligente.
Spricey baissa la tête.
— J’avoue, Corry, que tout à l’heure, avant votre arrivée, nous avons eu un moment de découragement… Mais je me sens à nouveau de taille à reprendre la lutte.
— D’autant plus, fit Corry avec un sourire, que j’ai à votre disposition l’un de ces fameux nains à peau blanche.
— Quoi ? Auriez-vous réussi à en capturer un vivant ? s’écria le biologiste, le visage soudain surexcité.
Le policier réprima vite les ardeurs du savant.
— Hum !… Il est mort… J’ai serré un peu fort mais dans les circonstances actuelles, je crois que vous en auriez fait autant… C’était ma vie ou la sienne.
Spricey branla la tête. Il ne put réprimer toutefois un mouvement de contrariété.
— Oui, je comprends, Corry… je voudrais vous demander l’impossible. Excusez-moi.
Les hélicoptères arrivèrent de nuit à Minneapolis. Nimbée de lumière, la ville resplendissait comme un joyau au-dessous des appareils.
De puissants projecteurs fouillaient le ciel de leurs faisceaux immobiles. Ils permettaient ainsi d’atterrir sans difficulté, guidant les appareils dans leur descente. Mais ici, comme ailleurs, les rues étaient désertes.
Corry manifesta le désir de ne pas demeurer longtemps à Minneapolis.
— Dès demain matin, nous devons rejoindre nos postes respectifs, à Washington, et coordonner nos systèmes défensifs. Je vous entretiendrai, dès que nous aurons rallié la capitale des U.S.A., d’un plan de sécurité collective. En attendant, je vous souhaite le bonsoir, Messieurs.
Corry s’enferma dans sa chambre d’hôtel. Il sentait ses paupières s’alourdir. Après les terribles émotions de cette mémorable journée, il aspirait au repos.
*
* *
— Eh bien, Corry, fit Maxwell en allumant son inévitable cigare. On peut dire que vous nous avez donné du souci. Votre femme m’a téléphoné, m’annonçant votre départ. Croyez que je n’étais guère rassuré de vous savoir entre les mains de nos ennemis. Le Centre biologique et le Ministère de la Défense Nationale m’ont appris successivement votre passage. J’avais compris. L’agresseur prenait contact avec nous, afin de régler les conditions d’armistice. En fait, nos adversaires vous détenaient à titre d’otages.
Corry s’agita dans son fauteuil.
— Non seulement les nains à peau blanche repoussaient notre capitulation, mais leur Conseil Suprême, grisé par son incontestable supériorité, décidait la dématérialisation totale et intégrale de tous les Terriens.
On frappa à la porte du bureau de Spark-Avenue. C’était Traver.
Il affichait une mine reposée et rien ne trahissait son éphémère captivité. Il tendit la main.
— Bonjour Corry. Bonjour Maxwell. Alors, c’est aujourd’hui que l’on connaît votre plan de sécurité collective ?
— Parfaitement. Je vous ai convoqué d’ailleurs dans ce but. Il faut que nous mettions tout en œuvre pour protéger les populations. Je sais, certes, que mon programme prendra du temps. Mais j’espère arriver à un résultat satisfaisant.
Corry se leva et enfouit ses mains dans ses poches. Son regard se fixa sur la carte des Etats-Unis où, évidemment, il avait renoncé à piquer les petits drapeaux à la lettre « M ».
L’ampleur actuelle des événements dépassait le cadre des premières disparitions. Du reste, on savait maintenant à quoi s’en tenir. Aussi Corry passait-il aux choses sérieuses, urgentes.
— L’agresseur invisible, au début de son attaque, s’était contenté de décimer les populations des campagnes. Or, depuis, il s’est infiltré dans les villes, dans les immeubles, y semant la plus effroyable panique. Nous avons aussitôt réagi en faisant poser autour des agglomérations des réseaux de fils électrocuteurs. Cette précaution, certes, ne s’avéra pas d’une efficacité radicale, car, dans la plupart des cas, lorsque les services posèrent les fils électrocuteurs, l’ennemi s’était déjà infiltré à l’intérieur de la ville. Ce système de sécurité n’en contribua pas moins à empêcher les renforts de parvenir à notre ennemi. Mon plan s’avère donc bien simple et il n’est ni nouveau, ni original.
Corry alluma une cigarette. Il s’assit négligemment sur le bord de son bureau et poursuivit son exposé.
— Je préconise donc l’emploi des méthodes actuelles. Mais il faut les renforcer, en exerçant en outre autour des villes une surveillance constante. L’interdiction formelle de sortir d’une agglomération doit s’appliquer à tous, sans exception, hormis, bien entendu, aux services de sécurité. Tout hélicoptère devra être, non seulement fouillé minutieusement, mais soumis à un contrôle de charge, détectant ainsi la présence d’un éventuel ennemi. Et puis, j’en arrive à la principale partie de mon programme, il s’agit d’organiser un gigantesque ratissage à l’intérieur des villes.
« Si vous le voulez, mon but est de traquer l’ennemi. Nous pouvons arriver à un semblable résultat en procédant par ordre et par élimination.
Maxwell et Traver froncèrent les sourcils. Corry sourit et précisa.
— Vous ne me suivez pas très bien. Vous allez comprendre… Il s’agit plus simplement d’enfermer l’agresseur dans les immeubles. En disposant des fils électrocuteurs à toutes les issues, nous lui couperons sa retraite. Alors, des équipes spéciales fouilleront pièce par pièce. Aucun pouce de terrain n’échappera à leurs investigations et à leurs pistolets électrocuteurs. Ainsi, nous sera-t-il possible d’éliminer l’ennemi de nos villes. Je crois que cette mesure s’impose. Alors, seulement, nous pourrons ensuite passer à la contre-attaque.
Maxwell rejeta une profonde bouffée de son cigare. Il se renversa sur son fauteuil et eut une moue inexpressive.
— Vous rendez-vous compte, Corry, du temps qu’il faudra pour exécuter votre plan ? Avez-vous seulement une idée du nombre de pièces qui existent à Washington ?
— Je sais, Maxwell. Il nous faudra des jours et des jours, des semaines. Mais nous disposons tout de même de plusieurs brigades spéciales et la production de scaphandres s’accélère dans les usines. En outre, rien ne nous empêche d’employer l’armée. Ses effectifs nombreux viendront appuyer nos forces de police.
— Vous semblez oublier, Corry, objecta Traver, que l’armée ne dispose pas encore de combinaisons protectrices. Je ne voudrais pas assister au massacre de mes hommes.
Un éclair de contrariété brilla dans les yeux de Mac-Corry. Celui-ci écrasa violemment sa cigarette dans le cendrier.
— Traver, je fais honneur à vos sentiments humanitaires. Malheureusement, c’est la guerre. L’armée est payée pour protéger la population. D’ailleurs, seules les brigades spécialisées en cagoules pénétreront dans les immeubles. Lorsque tout danger sera écarté, l’armée interviendra. N’ayez donc aucune crainte, tout sera méthodiquement exécuté. Je vais donner des instructions.
*
* *
Le plan de Mac-Corry prit effet le lendemain matin. L’opération de ratissage entrait dans sa phase de réalisation.
L’un après l’autre, les immeubles furent visités par les équipes en cagoule. Des soldats tendaient aux issues des fils électrocuteurs. Matériellement, il était impossible de sortir ou d’entrer dans l’immeuble sans être foudroyé.
Les hommes en scaphandre fouillaient les pièces une à une, déchargeant leurs pistolets dans le vide. Les habitants, obligés d’ouvrir aux forces de police, voyaient transformer leur appartement en un vaste orage électrique.
Au milieu des fulgurantes lueurs, les silhouettes fantastiques en vidoscaphe se découpaient. Puis l’équipe spéciale, ayant accompli consciencieusement sa besogne, passait à l’appartement suivant.
Alors, l’armée intervenait. Des soldats casqués poursuivaient les investigations, avec l’espoir de découvrir les cadavres des nains à peau blanchâtre.
Enfin, après le départ des soldats, les habitants refermaient leur porte et recevaient l’interdiction formelle de sortir. Ils reprenaient possession de leurs appartements ravagés par les hommes en cagoule et par les militaires.
Le plan de Corry ressemblait à quelque vaste opération du service d’hygiène. Les brigades spéciales étaient les services de désinfection, appliquant les mesures prophylactiques nécessaires afin d’éviter la contagion, et contribuer à la destruction des microbes infectieux.
L’opération d’envergure, déclenchée par Mac-Corry, ne s’arrêta pas à l’échelle nationale. Le Monde entier imita les Etats-Unis et fut pris d’un gigantesque frémissement.
Les populations reprirent confiance. L’ennemi ne parviendrait pas aisément à détruire la race humaine, bien protégée derrière des barrières de fils électrocuteurs. Et si l’activité des hommes se confinait à une vie urbaine, elle n’en prouvait pas moins une inébranlable volonté.
Dans son appartement, Corry respirait en toute tranquillité. Il souriait.
— Vois-tu, Betty, jamais je n’ai eu autant de confiance en l’avenir. Alors que nous cherchons à protéger nos existences, la lutte se poursuit dans les laboratoires, frénétiquement. Spricey ne désespère pas. Il affiche même un bel optimisme.
Betty vint s’asseoir sur ses genoux. Elle lui caressa les cheveux et l’embrassa.
— Chéri, le spectre de la fin du Monde s’éloigne. Nous avons envisagé sans frémir la capitulation. L’ennemi nous a dévoilé nos possibilités.
— Oui, Betty, nous devons lutter jusqu’à épuisement de nos forces. Il faut écœurer notre adversaire et le pousser, sinon à la reddition, du moins à la retraite. Peut-être mettra-t-il en batterie d’autres moyens d’extermination, devant l’inutilité de ses efforts pour se rendre maître des villes ? Nous pouvons nous attendre au pire. Mais à aucun moment, nous ne devons désespérer.
Comme pour confirmer ces paroles, le speaker de la télévision diffusa un communiqué.
— Après le premier jour de l’opération Mac-Corry, le nombre des agresseurs électrocutés se chiffre à neuf, dans la seule agglomération de Washington.
Le sourire du policier s’accusa.
— C’est peu, mais songe que l’ennemi a la possibilité de se réfugier dans les immeubles non encore visités. Seulement il ne pourra pas s’échapper !